Revenu de base : une allocation universelle qui profiterait à l’environnement

Et vous, que feriez-vous si votre revenu était garanti ? C’est par cette question très large que les militants pour le revenu de base ont pris l’habitude d’amorcer leurs discussions avec le public. Car le principe du revenu de base est simple : en versant à chaque citoyen un revenu,
on valorise sa participation à la société au-delà de l’unique mesure de l’emploi.

 On lui permet ainsi de ne plus envisager son temps comme forcément divisé entre le temps rémunéré et le temps « libre ». Avec un revenu de base, les citoyens auraient le choix entre travailler moins et, par exemple, se consacrer à une activité associative (investissement le plus souvent non sanctionné par un salaire alors qu’il relève de l’intérêt général)… ou continuer à travailler s’ils désirent gagner davantage.

 

 

En quoi le revenu de base pourrait-il être vecteur de meilleures pratiques environnementales ?

Le revenu de base offre la sécurité et la liberté nécessaires à de vrais changements. Aujourd’hui, tout le monde a peur : de perdre son emploi, de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins ni à ceux de ses proches. Avec le revenu de base, on aurait le choix d’avoir un métier en accord avec ses valeurs. Prenons l’exemple des agriculteurs. Leurs champs sont gigantesques, les moyens de productions incroyables et pourtant, ils peinent à survivre. Leur mal-être est palpable : en France, un suicide tous les deux jours. Les pesticides détruisent leur santé et leur terre – leur outil de travail – polluant les sols dans lesquels est puisée l’eau que nous buvons. Et toute cette activité destructrice est subventionnée par l’Union Européenne.
Avec un revenu de base, leur situation pourrait être différente ?

S’ils avaient le choix, les paysans qui aiment leur métier, se tourneraient probablement vers une agriculture biologique telle qu’elle a été pratiquée depuis des millénaires, avant qu’on ne leur explique qu’ils doivent acheter des graines hybrides puis les asperger de produits phytosanitaires. Ce qui était gratuit est devenu payant. Et ceux dont ce n’est pas la vocation parce qu’ils ont, par exemple hérité des terres de leurs parents, revendraient leurs terres à des jeunes qui n’ont rien à cultiver, et se réaliseraient ailleurs.

Et dans la vie quotidienne du citoyen lambda aussi, il y aurait des changements éco-responsables…

Je pense aussi qu’avec le revenu de base, le travail perdrait la place centrale qu’il occupe dans notre société actuelle et que nous prendrions plus de temps pour ce qui nous passionne dans la vie ou pour ce qui nous paraît important, agréable : cuisiner de bons produits frais, faire du vélo, s’occuper de ses enfants, jardiner, peindre, apprendre à coudre, héberger des touristes chez soi, monter un projet d’habitat partagé, organiser des sorties nature autour de chez soi, … La liste des possibilités est aussi longue que nous sommes nombreux. Chaque fois que nous consommons moins, que nous partageons des objets, que nous n’achetons pas la dernier modèle alors que le précédent fonctionne, nous prenons soin de notre planète.

En Alaska, il existe un dividende énergie. Faut-il y voir une nouvelle façon de penser le bien commun ?

Oui, c’est une bonne solution pour redistribuer équitablement les biens gérés par l’Etat, sensé nous assurer une protection minimale et donc, à mon sens, couvrir nos besoin primaires, en particulier en énergie. Ce n’est pas normal que certaines familles ne puissent pas se chauffer en hiver. La France, soi-disant exemplaire en matière d’écologie, propose un tarif dégressif sur l’électricité, favorisant en fait les gros consommateurs. De même, les gros exploitations agricoles paient le litre d’eau beaucoup moins cher que nous. On pourrait donc imaginer plusieurs dividendes : pour l’énergie, l’eau, un logement minimum, un petit local d’activité, … Tout cela devrait être discuté de façon démocratique. C’est tout l’enjeu du revenu de base : se réapproprier le bien commun afin qu’il soit géré en pensant à l’avenir et pas, comme aujourd’hui, pour générer des profits à court terme destinés à renflouer des banques privées qui endettent l’Etat et nous obligent à produire de plus en plus vite, et donc exploiter les ressources naturelles sans respecter leur rythme de régénération.

Devrions-nous nous inspirer de ce modèle ?

L’Alaska pourrait être un bel exemple si ce dividende n’était pas issu des bénéfices de l’exploitation du pétrole. J’estime que c’est une bien maigre compensation comparée à la perte de leur écosystème exceptionnel. Je pense en particulier au naufrage d’Exxon Valdez en 1989 et aux déversements illicites de déchets pétroliers par les navires, tuant chaque année des milliers d’oiseaux de mer.

Il faudrait donc contrôler les sources de financement, que l’Etat crée sa propre monnaie et que les citoyens se réapproprient la politique. Libérés du souci d’être rémunérés, certains pourront s’engager sur cette voie pour conduire notre société soumise à une croissance illimitée vers une société plus frugale et responsable.

On dit souvent que consommer avec plus de conscience (circuits courts, alimentation bio, etc.) coûte cher. Percevoir un revenu de base peut-il nous aider à changer nos habitudes ?

Dans la même idée que les dividendes énergie, le revenu de base pourrait être versé en partie en monnaie locale, favorisant les circuits courts dans nos consommations, en particulier alimentaires. Et plus nous serons nombreux à manger bio, moins ce sera cher. Aujourd’hui, si on compare les prix des légumes de saison, alors ce sont les mieux calibrés, aux couleurs les plus vives, bref ceux des têtes de gondoles, qui remportent la palme. C’est sans compter les produits industriels, nettement plus chers que les plats faits maison. La viande aussi coûte cher. Il suffit de la remplacer par des protéines végétales (lentilles, pois chiches, haricots blancs, …). Le revenu de base nous laisserait du temps pour acheter de bons produits, de cuisiner et pourquoi pas d’essayer de nouvelles recettes sans viande !

Globalement, avoir une allocation universelle permettrait également de repenser le temps non-travaillé…

Le revenu de base, c’est du temps en plus pour mieux se nourrir, mais aussi pour développer des alternatives concrètes : développer une monnaie locale, jardiner entre voisins sur un terrain partagé, créer des partenariats avec des agriculteurs en les incitant par ailleurs à se convertir en bio, lancer un chantier participatif d’éco-construction. Au lieu de de s’endetter sur 30 ans pour s’acheter une maison, il est possible de la bâtir soi-même en commençant par se former aux techniques d’éco-construction par la pratique sur d’autres chantiers, rencontrer des personnes que ça intéresse, partager des conseils, puis les recruter pour sa propre maison, avec des matériaux locaux et un savoir-faire adapté à la région. Lorsque nous consommons local de façon intelligente, nous dépensons moins : la paille, la terre, des bassins pour filtrer l’eau grâce aux plantes, tout cela ne coûte pas cher, seulement du temps.

C’est donc toute la question du bien être qui est en jeu ?

Je pense aussi qu’en ayant différentes activités, certaines rémunérées, d’autres pas, différentes zones de notre cerveau sont sollicitées, notre corps également, et globalement nous nous sentirons mieux, plus conscients de nous-même et du monde qui nous entoure. Cet état ne peut pas être atteint lorsque nous travaillons assidûment toute la journée, puis rentrons épuisés chez nous, traitant le plus urgent et finissant par « nous vider la tête » avant de recommencer le lendemain. Les coupures de publicité profitent bien de ce temps de cerveau disponible pour provoquer chez nous des désirs que nous irons combler le samedi. Le revenu de base tel que je le perçois est un outil pour sortir de la société d’hyper-consommation dans laquelle nous vivons, qui nous pousse à exploiter, industrialiser, vendre tout ce qui nous entoure, sans y penser ni nous sentir responsable de ce qui se passe.

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Quand on a le choix, on pèse le pour et le contre, on se demande si vraiment on a envie de pousser des animaux qui crient, pleurent dans les couloirs des abattoirs, puis à les mutiler alors qu’ils sont encore vivants. Pour que la réalité soit moins dure, la plupart des ces esclaves de notre système marchand, s’anesthésient en buvant de l’alcool, en prenant des anti-dépresseurs, pour modifier leur perception de cette violence. Quand on a le choix, on ne fait pas ça. Et tous ces bouts-de-chaîne que nous ne voyons pas, cesseront d’exister. Le monde deviendra plus humain, et nous nous adapterons, comme nous l’avons toujours fait, mais cette fois nous irons dans la bonne direction.

 

L’article sur leparisien.fr