Cécile Duflot : « Au nom d’une certaine idée de la France, protégeons les migrants »

Cécile Duflot : « Au nom d’une certaine idée de la France, protégeons les migrants »

Le Monde | 10.06.2015

En tant que président de la République, vous êtes le garant du respect des valeurs qui rassemblent

notre nation citoyenne. J’ai eu l’honneur de siéger à la table du conseil des ministres sous votre

autorité. Et si je n’ignore pas nos désaccords, je sais aussi que nous avons en partage une certaine

idée du respect dû aux êtres humains.

C’est la raison pour laquelle je m’adresse à vous pour me faire l’écho d’un trouble qui monte au

sein de la population, bien au­delà des clivages partisans, concernant la politique d’asile de notre

pays. Dans ce domaine, nous devons être fidèles à nos engagements, à notre humanisme, et à nos

valeurs.

Or, au moment même où l’actualité nous présente chaque jour les images des migrants cheminant

au péril de leur vie dans des embarcations de fortune où ils sont entassés par de véritables mafias

exploitant la misère du monde, la situation faite aux migrants anciennement installés à La Chapelle

et désormais régulièrement dispersés par les forces de police est insupportable.

Pourquoi un tel acharnement ?

Qui sont­ils ? Nombre d’entre eux sont des personnes éligibles au droit d’asile, qui ont quitté leur

pays pour se soustraire à des dangers avérés. Nous n’ignorons pas que leur ancien campement était

insalubre et posait des problèmes en termes de santé publique et de sécurité. Mais depuis

l’évacuation de ce campement, la situation a franchi un nouveau cap dans l’inhumanité de l’accueil

de ces personnes.

Ils font désormais l’objet d’actions régulières et permanentes des forces de police à leur encontre.

La dernière d’entre elles, rue Pajol, a conduit les forces de l’ordre, dont nul n’ignore la difficulté

de la mission, à faire usage de la force pour disperser les migrants et leurs soutiens. La population

de l’arrondissement a pourtant manifesté sa solidarité envers les migrants déplacés. En vain.

Avons­nous donc perdu et la tête et le cœur pour ne pas voir que nous faisons fausse route ?

Les gaz lacrymogènes alors utilisés blessent la conception que nous avons de notre pays. Les

images de migrants embarqués de force dans des rames de métro sont sinistres. Les cris de révolte

et d’incompréhension n’ont pas pu ne pas parvenir jusqu’à vous, Monsieur le Président. Les

questions se bousculent dans nos esprits incrédules. Pourquoi un tel acharnement contre de pauvres

gens ?

Comment ignorer le périple qui fut souvent le leur pour parvenir sur notre sol ? Pourquoi ne pas

avoir anticipé la situation ? Pourquoi ne pas dire la vérité sur l’insuffisance de nos capacités

d’hébergement, que je connais bien, en tant qu’ancienne ministre du logement ? En matière de

maintien de l’ordre, comment ne pas voir que les troubles engendrés par ces évacuations sont bien

pires que les maux qu’ils prétendent conjurer ? Quel en est donc le sens ?

Waterloo moral

Qu’il me soit permis un mot plus partisan. Toute la gauche a en mémoire les tristes événements de

1996, quand la droite au pouvoir n’hésitait pas à pourchasser les migrants jusque dans les églises.

Nous ne pensions pas alors que le désarroi et la colère qu’ils nous faisaient ressentir, nous les

ressentirions un jour sous un gouvernement de gauche.

Avons­nous donc perdu et la tête et le cœur pour ne pas voir que nous faisons fausse route ? A

force de professer un pseudo­pragmatisme, nous ne réglons pas les problèmes concrets et nous

perdons la bataille des valeurs. Notre politique des migrations est un Waterloo moral.

Cessons d’être tétanisés par l’influence de l’extrême droite dans le champ politique. Elle se nourrit

d’abord de nos reculs, de notre consentement à l’inacceptable et de notre inaptitude à redonner un

sens au fracas du monde. Les migrants ne viennent pas de nulle part. Ils sont les fruits des

soubresauts de notre planète. Penser que nous pouvons nous soustraire au monde commun en

construisant une Europe forteresse est un mythe excluant, un mensonge halluciné, une fiction

dangereuse.

L’exil économique fait peur ? Le droit d’asile est en berne ? Que ferons­nous demain des réfugiés

climatiques ? Les questions sont indissolublement liées, vous le savez. La lutte contre la corruption

et le mal­développement, la bataille contre le djihadisme, l’engagement contre le réchauffement

climatique sont autant de batailles à mener conjointement pour un ordre du monde plus juste.

Les humanistes doivent relever la tête, afin que la folie de politiques migratoires indécentes et

mortifères soit entravée

Il est grand temps de résister au vent mauvais de la xénophobie qui souffle sur tout le continent

européen et inspire de bien mauvaises solutions aux gouvernants. Monsieur le Président de la

République, j’en appelle donc à vous, à votre autorité et à votre humanité. Vous avez, dans

l’immédiat, le pouvoir de régler la situation des migrants de Pajol. Agissez avec discernement,

célérité, sagesse et détermination.

Au­delà de la question du droit d’asile, en vérité, c’est la question de l’accueil de l’étranger qui est

posée. Le moment du courage est venu. Les humanistes doivent relever la tête, afin que la folie de

politiques migratoires indécentes et mortifères soit entravée.

Une autre politique de l’immigration, à la fois responsable et cohérente avec nos valeurs, est

possible. Ce n’est pas à l’extrême droite d’imposer ses fausses solutions en polarisant l’ensemble

du débat public. C’est à vous, Monsieur le Président, qu’il revient de faire entendre votre voix pour

ouvrir une autre voie.

Au nom de la justice, des droits de l’homme et de la France, enclenchez un nouveau cycle

politique en France et en Europe, en jetant les jalons d’une nouvelle politique de l’immigration,

plus juste, plus réaliste, et plus conforme à notre histoire.

Cécile Duflot (Députée EELV, ancienne ministre du logement)